C’est la fin d’une époque ! Isabelle Kocher évincée d’Engie, plus aucune femme n’est à la tête de l’une des quarante plus grandes entreprises françaises cotées. La loi Copé-Zimmermann a tout de même fait bouger les choses en fixant un quota de 40 % de femmes dans les conseils d’administration depuis le 1er janvier 2017. Pourtant, les femmes continuent à avoir beaucoup de mal à passer la porte des comités de direction. Explications.
La France est championne du monde
Et pas dans le domaine que vous pensez. Nous sommes champions du monde de la féminisation des conseils d’administration. En effet, 10 000 entreprises avaient jusqu’au 1er janvier 2020 pour compter 40 % de femmes dans leur conseil d’administration. C’est à présent chose faite. Nous devons cet exploit à la loi Copé-Zimmermann adoptée en 2011.
Et ça a payé ! L’objectif a largement été atteint. Tous les groupes du SBF 120 (pour Société des Bourses Françaises) respectent ce taux de féminisation des conseils. Tous, sauf ceux dont le siège social se situe à l’étranger et qui ne sont donc pas assujettis à cette loi :
- LafargeHolcim,
- Airbus,
- TechnipFMC,
- Gemalto,
- ArcelorMittal,
- STMicroelectronics
Malgré quelques absents, nous pouvons nous féliciter d’avoir dépassé la barre des 40 %. Selon l’observatoire sur la gouvernance des sociétés cotées Ethics & Boards, les conseils des membres de cet indice boursier comptent 43,6 % de femmes. Mieux encore, parmi elles, 23 sociétés comptent au moins 50 % de femmes administrateurs et 4 d’entre elles en compte 60 % :
- Sodexo,
- Kering,
- Ipsos
- CGG
Voilà pour les géants du CAC 40, côté PME, ce n’est pas la même histoire. En effet, la loi intègre également les PME puisque la loi s’applique à toutes les sociétés qui emploient plus de 500 salariés et qui ont un chiffre d’affaires de plus de 50 millions d’euros. Malheureusement, dans ces sociétés plus « modestes » la part des femmes dans les conseils est en dessous des 40 %.
Tour d’horizon : la place des femmes
Avant la fameuse loi Copé-Zimmermann, la situation était bien plus compliquée, voire désastreuse. Les femmes n’occupaient que 8,5 % des sièges d’administrateurs en 2007, contre 38 % en 2016, cinq ans après le vote de la loi. Voyons ce qu’il se passe ailleurs.
En Italie on se dépasse pour les femmes
L’Italie a aussi instauré des quotas depuis 2011. La part des femmes dans les conseils s’est très nettement améliorée. Elle est passée de 5 % à 34 % en moins de 10 ans.
En Suisse on ne bouge pas d’un iota
Il n’existe pas de lois qui sanctionnent des quotas. Résultat : les hommes occupent 81 % des sièges d’administrateurs.
En Espagne, pas plus de mouvements
Même situation de l’autre côté des Pyrénées, où aucune loi de ce genre n’existe. Les conseils d’administration sont aussi très masculins avec seulement 18 % de femmes.
En Californie on fait avancer les choses
Surprise, la tendance a même traversé l’Atlantique. Fin 2018, la Californie qui ne comptait que 24 % de femmes en postes d’administrateurs a instauré des quotas dans les sociétés cotées ayant leur siège dans cet état.
Résultat : les entreprises concernées doivent nommer au moins une femme administratrice dès 2019. Elles devront ensuite atteindre, d’ici à 2021, 40 % de femmes. La Californie pourrait même entraîner ses 49 autres petits camarades avec elle. À la clef, la menace d’une amende pour celles qui ne rempliraient pas ces quotas.
En Norvège on lance la tendance
C’est chez nos voisins du Grand Nord que tout a commencé et ils n’ont pas perdu de temps. En 2003, la Norvège a exigé que les plus grosses entreprises comptent 40 % de femmes dans les conseils dans un délai de 5 ans ! Il faut dire qu’à l’époque seulement 6 % des 2 000 administrateurs étaient des femmes. Pire, ce pourcentage n’avait quasiment jamais bougé depuis des années. La Norvège a décidé d’agir et ça a fonctionné. Face à ce constat, la France a pris son exemple. Résultat : la France est aujourd’hui au 1er rang européen et international en matière de diversité. Pas mal quand on pense que la loi Copé-Zimmermann n’a été mise en place qu’en 2011 !
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Des résultats par la force
Grâce à tous ces exemples, on remarque rapidement que si les entreprises ne sont pas contraintes de changer leurs méthodes et de diversifier leur conseil d’administration, elles ne le font tout simplement pas… « Les progrès les plus importants ont eu lieu dans les pays dans lesquels des quotas ont été adoptés », explique Agnès Touraine, présidente de l’IFA (Institut Français des Administrateurs).
Certes, beaucoup pensent que ces lois prennent le problème à l’envers comme l’explique cet expert en gouvernance : « Les quotas sont très impopulaires, ils peuvent donner l’impression qu’une femme obtient un poste non pas sur ses compétences, mais sur son appartenance au genre féminin. Mais les appels à l’autoréglementation n’avaient pas donné de résultats tangents ». Après réflexion on se rend rapidement compte que même lorsqu’une femme a le profil, l’expérience et les qualités adéquates elle n’obtient pas pour autant le poste. C’est là que le bât blesse, les grandes entreprises auront toujours tendance à engager des hommes.
D’autres experts soulignent que le problème n’est pas uniquement masculin et que les femmes ont souvent beaucoup de mal à se promouvoir entre elles. Vision machiste ou simple constat ? Il est difficile de répondre, mais on ne peut pas faire une généralité de cas isolé. Le manque de solidarité entre femmes a longtemps été pointé du doigt pour expliquer certaines défaillances en termes de parité. Ce qu’on peut réellement constater aujourd’hui c’est que sans ces lois, de nombreux conseils d’administration se passeraient bien de la présence de femmes. Et ça, c’est un fait.
Tout n’est pas encore joué pour les femmes
Alors oui, les lois vont bon train, les résultats sont là et de plus en plus de pays se joignent à la fête, mais les femmes ne parviennent toujours pas à pousser la porte des comités exécutifs ou de direction. En France, dans ces hauts lieux du pouvoir, qui ne sont soumis à aucune contrainte légale, elles n’occupent que 17,9 % des postes dans le SBF 120. Encore une preuve que les lois forçant des quotas sont encore nécessaires.
Et même si dans sur les 120 entreprises du SBF, seulement une femme est PDG (Christel Bories, chez Eramet), finissons sur une note positive:
- 10 femmes sont directrices générales ou présidentes du directoire,
- 5 femmes sont présidentes de conseil.
Ce n’est peut-être pas assez, mais c’est bien mieux qu’en Norvège, pionnière du mouvement, où il n’y a toujours aucune femme présidente de conseil dans les grands groupes cotés.
Nous ne sommes pas champions du monde pour rien…